Du jugement définitif
À propos de la décision n° 2014-398 QPC du 2 juin 2014 du Conseil constitutionnel
Les mots du droit sont des outils qui façonnent l’équilibre social et préservent les libertés. L’omniprésence de l’expression « jugement définitif » est source de difficultés, théoriques comme pratiques. Or, des formules plus précises évitent les errements que génère cette imprécision de vocabulaire.
1. Dans une récente étude1, nous avions condamné l’emploi de l’expression inadaptée de « jugement définitif », en droit civil comme en procédure civile, et avions estimé que dans cette dérive langagière, les fautes étaient à partager entre le législateur et les juristes.
Par juristes, nous pensions bien sûr aux juges des juridictions du fond, aux avocats, aux notaires, aux professeurs, notamment, mais sûrement pas au Conseil constitutionnel. Sa décision n° 2014-398 QPC du 2 juin 20142 nous oblige à reconsidérer cette révérencieuse restriction.
2. L’affaire est banale. Par un arrêt du 2 avril 20143, la première chambre civile de la Cour de cassation renvoyait au Conseil constitutionnel une question prioritaire de constitutionnalité transmise par un juge aux affaires familiales, consistant à savoir si les dispositions de l’article 272, alinéa 2, du Code civil sont ou non conformes au principe d’égalité devant la loi. Par sa décision du 2 juin 2014, le Conseil constitutionnel déclarait ce second alinéa contraire à la Constitution, en précisant[...]
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Y. Strickler, M. Foulon, « L’équivoque en droit : le jugement définitif » : Dr. et procéd. sept. 2014, p. 178.
Cons. const., 2 juin 2014, n° 2014-398 QPC, ECLI:FR:CC:2014:2014.398.QPC : JO 4 juin 2014, p. 9308.
Ainsi Cass. 2e civ., 22 oct. 2014, n° 13-24802 : Procédures 2014, comm. n° 324, note M. Douchy-Oudot.
Dictionnaire Richelet, 1681.
Dictionnaire Furetière, 1694 ; égal. « Le jugement définitif est celui qui termine le procès » : Dictionnaire B. Dupiney de Vorepierre, 1864.
Dictionnaire de l’Académie française, 1776.
« Interlocutoire », c’est-à-dire, selon le dictionnaire Furetière préc., « donné sans préjudice du droit des parties au principal ».
A. Daguin, Axiomes, aphorismes et brocards français de droit, éd. Administration et librairie des annales des justices de paix, 1926, n° 37.
L’expression « force de chose jugée » n’est pas employée ici dans le sens moderne de « jugement insusceptible de voies de recours ordinaires » ; « Res judicata pro veritate accipitur » : la chose jugée est acceptée ou tenue pour vérité ou vraie (Ulpien).
N. Pigeau, Introduction à la procédure civile, éd. Eberhart et a., 1815, p. 209.
P. Cuche, J. Vincent, Précis de procédure civile et commerciale, Dalloz, 1960, 12e éd., n° 535 : « II. Jugements définitifs » ; J. Vincent reprendra ces développements, quasiment mot pour mot, dans la 18e éd. du Précis Dalloz, 1976.
V. aussi S. Amrani-Mekki et Y. Strickler, Procédure civile, PUF, coll. Thémis, 2014, § 442 ; Y. Strickler, Procédure civile, Larcier, 2014, 5e éd., n° 465.
Le grand Robert donne toujours la même définition : « le sens juridique de qui statue sur le fond ».
V. CPC du Québec, art. 331-9, al. 2 : « Lorsqu’une partie, par quelque moyen que ce soit, se pourvoit contre le jugement, le greffier détruit les pièces dont les parties n’ont pas repris possession, un an après la date du jugement définitif ou de l’acte mettant fin à cette instance, à moins que le juge en chef n’en décide autrement ».
Concernant les ordonnances de référé : « L’ordonnance de référé n’a pas, au principal, l’autorité de la chose jugée. Elle ne peut être modifiée ou rapportée en référé qu’en cas de circonstances nouvelles » (CPC, art. 488).
À noter que le Code de procédure civile n’emploie pas le mot « irrévocable ».
D. Thomas, « Récidive et réitération » : J.-Cl. pénal 2014, fasc. 20, art. 132-8.
Par ex. : CJA, art. R. 921-1.
Cf. supra, I.
L’on pourrait tout aussi bien chercher les malentendus dans le Code civil, par exemple dans les articles 391, 780, 2243, ou 2412.
D. n° 91-1266, 19 déc. 1991, portant application de la loi n° 91-647 du 10 juill. 1991 relative à l'aide juridique.
Cette expression « décision définitive passée en force de chose jugée » était déjà utilisée dans l’article 1er du décret n° 67-167 du 1er mars 1967.
R. Perrot, obs. in RTD civ. 1987. 155, spéc. « a ».
C. com., art. R. 123-46, R. 123-69, R. 123-142, R. 134-9, L. 141-9, L. 145-57, L. 229-3, L. 235-11, L. 441-7, L. 450-4, L. 462-7, R. 526-24, R. 611-28, R. 626-22, L. 631-8, L. 653-10, L. 654-6, L. 662-4, L. 713-3, L. 713-9, R. 713-61, L. 723-2, R. 743-63, R. 814-99, R. 814-140 et R. 821-17.
Ce texte prévoit notamment que le paiement des loyers reste dû durant l’instance relative à la fixation du prix du bail révisé ou renouvelé. Après « fixation définitive du prix du loyer », cette « décision définitive » doit être signifiée et, dans le mois qui suit, un nouveau bail dressé par les parties dans les conditions fixées par le juge, sauf renonciation du preneur au renouvellement ou refus de ce dernier par le bailleur.
Cass. 3e civ., 11 déc. 2013, n° 12-29020, Bull. civ. à paraître.
Cass. 3e civ., 13 mai 1986, n° 83-14991 : Bull. civ. III, n° 69 (jurisprudence constante).
Pour cette logique seconde qualification : P.-M. Le Corre, Droit et pratique des procédures collectives 2014-2015, Dalloz, coll. Dalloz Action, n° 435.51.
« L’agrément [pour être immatriculé au registre du commerce] n’est délivré qu’aux personnes qui satisfont aux conditions suivantes : (…) 3° N’avoir pas fait l’objet d’une condamnation définitive ».
Cass. 2e civ., 8 juill. 2004, n° 02-15893 : Bull. civ. II, n° 352.
Cass. 2e civ., 29 janv. 1992, n° 90-17243 : Bull. civ. II, n° 40.
Cass. 2e civ., 4 juill. 2007, n° 06-14610 : Bull. civ. II, n° 181.
Cf. supra, II. A.
J.-Cl. notarial, formulaire, V° « Séquestre », fasc. 15, formule 1 : « Constitution de séquestre de biens litigieux », par J. Hérail (mise à jour 17 mars 2000).
V. aussi M. Foulon et Y. Strickler, Dr. et procéd., préc.
Cass. 2e civ., 20 mars 2014, n° 13-14738 : Bull. civ. II, n° 73.
CA Paris, 14 avr. 2010, n° 09/20934, inédit.
Cf. en ce sens l’index du Code de procédure civile Dalloz à « chose jugée : jugement définitif-exécution ».
« Vous voulez, Acis, me dire qu’il fait froid : que ne disiez-vous « Il fait froid » ? Vous voulez m’apprendre qu’il pleut ou qu’il neige ; dites « Il pleut, il neige » », La Bruyère, Les Caractères, « De la société et de la conversation », 7e éd., La Pléiade, p. 149.
Art. 13 du Règlement intérieur sur la procédure suivie devant le Conseil constitutionnel pour les questions prioritaires de constitutionnalité : « Si le Conseil constitutionnel constate qu’une de ses décisions est entachée d’une erreur matérielle, il peut la rectifier d’office, après avoir provoqué les explications des parties et des autorités mentionnées à l’art. 1er. Les parties et les autorités mentionnées à l’art. 1er peuvent, dans les vingt jours de la publication de la décision au Journal Officiel, saisir le Conseil constitutionnel d’une demande en rectification d’erreur matérielle d’une de ses décisions ».
Josse de Damhoudère, in Axiomes, aphorismes et brocards français de droit, A. Daguin, préc.
« Le mot propre, ce rustre, n’était que caporal ; je l’ai fait colonel », s’enorgueillissait le poète-“homme-Dieu” Victor Hugo (Les Contemplations, Livre Premier, VII). Nous ne sommes que juristes, mais pouvons – et devons – en faire un général.
Notre conclusion au Recueil Dalloz 2010, 456 : « J’appelle un chat un chat », N. Boileau, Les Satires, satire I, l. 50.
François Rabelais dira : « Nous sommes simples gens (…) et appelons les figues, figues, les prunes, prunes et les poires, poires », Pantagruel, Livre IV, chap. LIV, éd. La renaissance du livre, p. 60.
J.-W. von Goethe, Faust, acte 1, scène de la nuit, in R. Tosi, Dictionnaire des sentences latines et grecques, éd. J. Million, 2010, n° 2272.
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