L'entreprise contrevenante : le choix de la passivité ou de l'action
Traditionnellement, l’entreprise qui commet des pratiques anticoncurrentielles encourt des sanctions pécuniaires importantes de la part de l’Autorité de la concurrence. Mais elle est incitée à collaborer par l’octroi d’avantages importants, en termes d’exonération ou de fortes réductions d’amende. De plus en plus « proactive », elle est donc conduite à faire des choix qui peuvent s’avérer cruciaux, dès la découverte en son sein de pratiques illicites ou pendant la procédure de l’Autorité. Le choix de l’action s’avère souvent avantageux.
I – Introduction
L’entreprise contrevenante est au cœur de l’activité de l’Autorité de la concurrence.,
En droit de la concurrence, comme dans d’autres domaines de l’action publique, et notamment le droit pénal et le droit boursier, les procédures dites « négociées » se sont développées ces dernières années, suscitant des réactions souvent inquiètes, voire franchement hostiles. Antoine Garapon a, ainsi, pu parler de « deals de justice » dans un récent ouvrage (A. Garapon et P. Servan-Schreiber, Deals de justice, 2020, PUF, Quadrige).
Ces procédures conduisent l’entreprise à faire des choix : le choix de suivre le cours normal des[...]
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Le montant de base de l’amende allant jusqu’à 30 % des ventes, couplé au « droit d’entrée » et aux circonstances aggravantes élève considérablement le quantum des sanctions encourues ; la durée des pratiques est davantage prise en compte comme facteur aggravant (le montant de base de l’amende, déterminé en fonction de la valeur des ventes est multiplié par le nombre d’années (avant 10 % chaque année) (§ 24) ; la récidive est également prise en compte : le montant de base est augmenté de 100 % par décision antérieure constatant une infraction identique prononcée par la Commission ou une ANC (§ 28).
L. n° 2001-420, 15 mai 2001, relative aux nouvelles régulations économiques.
Communiqué, 16 mai 2011, relatif à la méthode de détermination des sanctions pécuniaires.
Le IV de l’article L. 464-2 du Code de commerce, créé par la loi NRE du 15 mai 2001 et modifié par la loi Macron du 6 août 2015, en s’inspirant des expériences d’autres autorités de concurrence, a introduit le système de la clémence dans le droit français de la concurrence : « Une exonération totale ou partielle des sanctions pécuniaires peut être accordée à une entreprise ou à un organisme qui a, avec d’autres, mis en œuvre une pratique prohibée par les dispositions de l’article L. 420-1 du Code de commerce s’il a contribué à établir la réalité de la pratique prohibée et identifier ses auteurs, en apportant des éléments d’informations dont l’Autorité de la concurrence ou l’Administration ne disposaient pas antérieurement ».
V. notamment la recommandation du Conseil concernant une action efficace contre les ententes injustifiables, C(98)35 final du 25 mars 1998.
Journal of Political Economy, 76(2), p. 169-217.
Cons. CE, règl. n° 1/2003, 16 déc. 2002, relatif à la mise en œuvre des règles de concurrence prévues aux articles 81 et 82 du traité : JOCE L 1, 4 janv. 2003, p. 1.
L’Autorité considère que la clémence est au nombre des motifs légitimes qui justifient la non-transmission au parquet d’un dossier dans lequel les personnes physiques, appartenant à l’entreprise qui a bénéficié d’une exonération de sanctions pécuniaires, seraient susceptibles de faire aussi l’objet de telles poursuites.
Le nouvel article L. 420-6-1 du Code de commerce dispose : « Lorsqu'une exonération totale des sanctions pécuniaires a été accordée à une entreprise ou une association d'entreprises en application de la procédure prévue au présent IV et lorsque les faits lui paraissent de nature à justifier l'application de l'article L. 420-6, l'Autorité de la concurrence en informe le procureur de la République et lui transmet le dossier, en mentionnant, le cas échéant, les personnes physiques qui lui paraissent éligibles à une exemption de peine ».
De façon générale, le développement des actions privées en réparation risque de freiner les programmes de clémence (bénéfice de rang 2) (J. Ysewyn et S. Kahmann, « The decline and fall of the leniency programm in Europe », Concurrences n° 1-2018, p. 44).
Dans un article paru dans Concurrences n° 3-2020 et intitulé « Les programmes de clémence européens et les actions privées de concurrence : les liaisons dangereuses », l’autrice, Adeline Archimbaud, souligne que dans l’affaire du cartel des camions, le constructeur MAN aurait économisé 1,2 milliard d’euros en remportant l’immunité, pour avoir permis la découverte du cartel alors que les autres constructeurs ont été condamnés à une amende record de 2,93 milliards d’euros (dont trois constructeurs ayant obtenu une réduction d’amende à la suite d’une demande de clémence et l’ensemble des constructeurs à la suite d’une procédure de transaction).
Cependant, au regard des multiples actions follow-on intentées dans différents États membres, dues au vaste marché géographique concerné, aux nombreux acheteurs de camions et à la longue durée du cartel (14 ans), des milliards d’euros de dommages et intérêts pourraient être imposés aux constructeurs, dont l’entreprise MAN.
Le 2° du XVIII prévoit que l'Autorité de la concurrence peut, de sa propre initiative ou sur demande de l'auteur de la saisine, du ministre de l'Économie, de toute entreprise ou association d'entreprises ayant un intérêt à agir, modifier, compléter ou mettre fin aux engagements qu'elle a acceptés si : i) l’un des faits sur lesquels la décision d'engagements repose a subi un changement important, ou si ii) la décision d'engagements repose sur des informations incomplètes, inexactes ou trompeuses fournies par les parties à la procédure.
L. n° 2015-990, 6 août 2015, pour la croissance, l'activité et l'égalité des chances économiques : JO, 7 août, art. 218.
L. n° 2001-420, 15 mai 2001, relative aux nouvelles régulations économiques : JO, 16 mai 2001, art. 73.
Comm. CE, règl. n° 622/2008, 30 juin 2008, modifiant le règlement (CE) n° 773/2004 en ce qui concerne les procédures de transaction engagées dans les affaires d’entente.
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Plan
- 1Le droit de la concurrence incarné ou les trois visages de l’entreprise – L’entreprise contrevenante : le choix de la passivité ou de l’action
- 1.1I – Introduction
- 1.2II – Conclusion